Lettre XXVII

L'odeur m'est revenue tout à l'heure, comme ça, d'un seul coup, alors que penchée sur la feuille, le doigt maculé de noir, d'encre et d'eau mêlées, je mettais un peu d'ombre au dessin. J'ai passé deux heures à le peaufiner ce dessin, sans arrière pensée, sans but précis, vraiment, rien. Et puis soudain, je m'en suis aperçue, doigt en l'air, l'air idiot. Aperçue que ces deux adolescents n'étaient personne d'autre que toi. Toi comme je t'ai vu. Un visage caché, un visage offert. Un sombre et hermétique, un enfantin et naïf... Ces deux toi soudain pacifiés, soudain frères, soudain sans guerre. Toi dans les bras de toi. Toute la tendresse que tu n'as su t'accorder et qu'inconsciemment je te rends.

Ou peut être l'un des deux est il moi... Celui qui sur ta poitrine s'endort. C'est là en tous cas, là sur son nez collé à toi que j'ai retrouvé l'odeur. L'odeur de la laine mouillée. Celle que j'aimais et que je n'ai pas oubliée.
Tu portais les jours de froid un pull trois fois trop grand pour toi. Un pull de laine épaisse et noire qui te tombait jusqu'aux genoux. Lorsqu'il pleuvait, les gouttes s'accrochaient à tes mailles sans les pénétrer tout de suite, laissant ainsi piquées une infinité de petites perles translucides. J'aimais alors passer ma main dessus, la pluie figée glissait sur ma paume et je n'avais plus qu'à poser ma tête contre ta poitrine, joue humide, et respirer ce parfum de laine froide se tiédissant lentement au contact de nos deux peaux. Tes bras se refermant sur moi, je fermais les yeux et et restais le nez appuyé contre toi, à en perdre souffle parfois. Ce parfum simple, si simple, qui n'existait que parce que ton corps existait, devenait alors mon royaume. Celui où je n'avais plus peur de rien, celui où je me sentais bien. Je crois que je suis née d'un parfum.
Je ne te l'ai jamais dit bien sûr, ça paraissait si stupide, mais je sais que la pluie elle l'a toujours su. Et je m'aperçois aujourd'hui qu'un dessin aussi pour moi se rappelle et dit....

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