Cécile est une conne

Puisque le livre, ces pages en somme, vont être éditées, en toute logique, ce soir, je me suis dit « relis donc le manuscrit ma fille, et vois ce que tu peux encore peaufiner et blablabla, et blablabla… » Et voilà que soudain, ça m’explose à la gueule : tu n’es pas là !

Ah !...elle a l’air fin la demoiselle ! Ca fait des années que tu n’es plus là, il serait temps de vraiment s’en rendre compte tu ne crois pas ?

Il m’aura fallut tout un hiver pour l’écrire ce putain de livre, pour raconter, te raconter… Un hiver où j’ai cessé de faire semblant, semblant d’avoir oublié, et que je t’ai senti tout à côté. A chaque texte, chaque phrase, ta présence, là. Et j’en ai pleuré des nuits, et des nuits je t’ai senti tout près, à te toucher. Encore. Comme avant, comme si il n’y avait plus de temps…

Et puis le printemps a succedé à l’hiver, les pages sont devenues petit pavé à envoyer…les réponses à attendre…les pourparlers…et j’ai repris ma vie comme si de rien n’était. J’ai meme dit je t’aime, j’ai même dit que j’allais me marier, j’ai même cru qu’une autre vie commençait.

Et voilà l’été. Je ne dis plus je t’aime à personne, et le petit pavé va me glisser des mains… Et je devrais être heureuse, et ne le suis pas. Parce que je t’en veux de n’être pas là !

Et je m’en veux d’éprouver le besoin pathétique de cette exhibition…encore elle… mais si je ne peux plus rien te dire à toi, il faut bien que je le dise à tous ! Ils ne seront pas de trop pour cacher ton absence. ..

Sébastien, le temps qui passe ne change rien. On aime une fois, une seule fois je crois, après ce n’est que la vie qui se poursuit, ce n’est plus soi, ce n’est plus l’Autre, c’est la vie, c’est tout…

On ne devrait peut être jamais tant se donner, tant recevoir. On ne devrait pas. On ne pense pas aux jours qui restent, à ceux d’après. A ce gout du donner qu’on a trop pris et qu’on ne peut plus contenter, parce que l’Autre ne revient plus, parce qu’il n’est plus. Et ceux qui viennent, ceux d’après, ils ne comprennent pas, ils ne savent pas...

Je nous ai tous trompé. Eux, toi, moi. Je m'en rends compte ce soir. Je n'ai rien dit, rien raconté, j'ai mis tous les temps au passé, j'ai oublié le présent, je me suis protégée...j'ai oublié de donner.

Mais je ne vais rien lâcher non. Je vais relire oui. Je vais même gommer l'imparfait, je vais arrêter de me cacher. Je vais la rendre ma copie, la vraie, celle où je dis que je t'aime et non que je t'ai aimé.

Je vais arrêter d'être conne un peu, pour changer.

Au revoir

Il y a environ quatre mois, je laissais ici la première lettre. Aujourd'hui, je viens y déposer la dernière.

Quatre mois pour tenir une promesse, celle faite d'une gamine de quinze ans à un autre, pas beaucoup plus vieux et pourtant... Pourtant, il aura fallut attendre des années pour se sentir assez grand.
A travers ces quelques lettres d'écrites, à travers vos regards posés dessus, vos échos...je pourrais me penser quitte, mais m'aperçois que tout commence seulement.
Avec ces quelques mots, ces quelques briques, je vais continuer de construire. Pas un mur non, mais une passerelle. Un bel ouvrage comme on dit. Fait de mes mots, des siens et de ceux de demain. Et lorsqu'ils seront tous réunis, réconciliés, je les raccommoderai dans un même livre. Un vrai. Un de grandes personnes. Puisque c'est ce que je suis devenue. Puisque lui aussi le deviendra avec moi.

Ce livre, un jour, je l'espère, se retrouvera sur un rayonnage de librairie. Et des inconnus, des qui ne l'ont pas vu, et ne le verraient sans doute pas plus aujourd'hui, tendront la main, saisiront ce livre. Cette douce ironie sera un beau clin d'oeil, la fin d'un cercle redevenu libre.
Mais pour faire tout cela, j'ai besoin d'être un peu égoïste. Les derniers pas ne les faire qu'avec moi et Lui pour compagnie. Alors, je vous dis au revoir. Vous remercie de ce bout de chemin fait ensemble ici. Nous nous retrouverons, ailleurs, grandis, puisque je l'ai promis.
Cécile





Fragment # 10

On s'était arrêtés là, appuyés au grand porche, juste le temps de rouler une cigarette. Le paquet de tabac posé sur la cuisse, tout en faisant jouer le papier entre tes doigts, tu regardais d'un air dubitatif l'édifice.

- Ce n'est pas habité par les bonnes personnes, c'est dommage...

En disant cela, mains jointes et clope au bec, tu t'étais avancé à petits pas vers moi comme un communiant. Postée devant la porte, je m'étais effacée te faisant signe d'entrer, mais tu avais haussé les épaules prenant mes mains pour leur faire palper tes poches. Elles étaient vides et tu les avais même fait ressortir de ton jean. Puis, t'empoignant par le col de ton pull, tu t'étais entraîné plus loin et laissé tomber sur le parvis sous mes éclats de rire.

- C'est mieux non?!
- Ah! oui! Assurément... N'empêche que je serais bien rentrée... pour voir...

La grande porte était fermée, mais il y en avait une plus discrète d'ouverte sur la droite. Tu avais passé une main dans tes cheveux tentant de discipliner tes épis et t'étais signé, tête baissée. J'en étais bouche bée.

- Maman y croit dur comme fer à ces conneries, alors bon... je peux pas lui faire ça...
- …

C'était la première fois que tu parlais de ta mère. Et que tu l'appelles maman m'avait fait m'arrêter tout net. Maman pour moi, c'était un mot si grand, si doux. C'était l'ombre penchée pour le baiser du soir, la poitrine sur laquelle se serrer fort... Était-il possible que la tienne ait été celle-là? Qu'elle le soit encore dans ta bouche et que toi tu sois là, qu'elle ne t'y cherche pas? N'avait-elle pas perdu le droit d'être encore cette femme-là?... Tu avais dit cela avec une telle simplicité, une telle évidence, faisant ce signe de croix stupide, répétant les gestes qu'elle t'avait sans doute appris, avant... Était-ce beau ou à vomir? Les deux sans doute, mais c'est la nausée chez moi qui l'avait emporté.

- Elle a beau jeu de croire tiens! Elle...
- On est pas responsable de ce à quoi on croit.

Tu m'avais poussé en même temps du coude pour avancer mettant fin à la conversation qui n'avait pas commencé.

Au fond de la nef, il y avait un petit attroupement, les répétitions d'un concert à venir apparemment. On s'était assis dans un coin pour les écouter un peu. Installé sur le bord de la chaise, accoudé à celle de la rangée de devant, tu n'en perdais pas une miette, allant de l'un à l'autre, te tordant le cou pour mieux voir tel ou tel instrument, de très beaux, très anciens, desquels je ne pus te donner les noms que tu me demandais.

À la première note jouée, tu avais cessé presque instantanément de gigoter sur ta chaise. Du fond de la mienne, je n'avais même pas eu à tourner la tête pour voir ton profil. Tu fixais la soliste avec une rare intensité, comme si tes oreilles ne te suffisaient par pour l'écouter, comme si tes yeux mêmes avaient besoin de s'ouvrir plus grands. Je connaissais cet air, les lamentations de la nymphe, Monteverdi. Ta bouche légèrement entrouverte tremblait à chaque note plus haute et je sentais ton corps même se raidir un peu, comme si tu craignais qu'elle se brise. Tu plissais le front, le regard embué de larmes. Tu n'étais plus là je crois. Tu étais quelque part, chez toi peut-être... enfin. Un quelque part d'assez vaste pour t'envelopper tout entier, d'assez proche pour sous tes paupières laisser un baiser humide.

Et l'indicible tristesse de cette voix, allant se brisant sans cesse, mais ne cessant un instant de s'offrir, c'était elle qui soudain semblait t'écouter, qui te retournant comme une peau te déversait dans ses plaintes, te roulait, te charriait dans son lit. Elle qui, comme une mère, te balançait contre son cœur, seule à même d'écouter tes peurs et tes peines et d'avec toi les porter et les ressentir comme aucun autre être sur la terre... Et je repensais à ce signe de croix, à ce geste, à ce maman dans ta bouche... Non, on n’est pas responsable de ce à quoi on croit. Ni de à qui l'on croit. On est juste responsable d'éteindre ou non sa lumière.

On s'était éclipsé aussi discrètement que nous étions arrivés. Personne ne nous avait remarqués, je crois. Aussi émus l'un que l'autre, un regard avait suffi pour nous taire. Sortis de la cathédrale, tu m'avais désigné du menton la direction du petit parc. On s'était installé à califourchon sur la branche d'un arbre. Je me souviens encore de tes bras se refermant sur moi, de ton menton posé sur mon épaule. Tu me retenais bien sûr, mais avec moi c'était encore ces voix, la sienne, la tienne, que tu cherchais à garder tout contre toi.

Un pas

C'est un de mes grands plaisirs, m'installer à la terrasse d'un café et regarder les gens passer. Je ne regarde pas vraiment qui ils sont, sont ils beaux, sont ils laids, jeunes ou vieillissants, je n'en sais souvent rien à dire vrai. Je les regarde juste marcher.

Un pas, c'est comme une voix, ça porte et ça démontre. Il y a ceux qui trottent rapide, récitation apprise par cœur et qu'ils débitent automatique. Ceux qui flânent, bras ballants, digressent à n'en plus finir, à en oublier la conclusion. Il y a les par deux qui, bras dessus, bras dessous, ne marchent qu'en conversation... Et tous les autres encore, tous à leur façon émouvant car l'espace d'une enjambée un peu plus transparents.

C'est toi qui m'a appris à les regarder ainsi. C'était un de tes passe temps favoris. Tu prenais une silhouette dans la foule, la suivais quelques mètres et lui choisissais un petit sobriquet souvent taillé au scalpel. Mais tu n'avais pas un œil méchant, pas vraiment moqueur non plus, il n'était pas en bois c'est tout, de cette langue il ne te restait d'ailleurs que les veines.

A mon tour, bien évidemment, je t'ai regardé, mais je ne t'ai jamais vu marcher. Ça semble fou, mais ça n'en est pas moins vrai. Tu frôlais à peine le sol, coulant plus qu'avançant semblait il. Comme les algues prises entre deux eaux et qui par un effet d'optique paraissent se déplacer dans leur immobilité. Il y avait tes chaussures deux fois trop lourdes pourtant, ton pull deux fois trop grand, toutes ces choses qui auraient alourdi le pas de quiconque, mais même là tu semblais ne pas y être vraiment. Je t'ai regardé longtemps, vraiment longtemps..Marchais-tu sur la pointe des pieds ? Y avait-il dans ta démarche un léger claudiquement qui m'aurait échappé?... Je n'ai jamais trouvé la réponse et ai fini par ne plus la chercher.

Peut être que certains d'entre nous, ceux qui ne se savent pertinemment que de passage, ont la délicatesse de ne pas encombrer le sol de leur pas. Peut être qu'un seul regard sur toi, le mien, n'a pas suffit à lester tes empreintes pour cette vie, pour cette fois...