Fragment # 8

- Tu crois que tu pourras ne jamais me pardonner ?
- De quoi ?...euh…mais il n’y a rien à pardonner... Tu sais, je…

Tu as ri. Tu as ri comme une lézarde court sur un mur. Elle est montée de ton ventre, a vibré sur tes épaules et est venue mourir à la pointe de tes cheveux qui, ébouriffés comme toujours, ont doucement tremblés. Ces légers spasmes au creux de ton ventre ont fait trembler ton visage aussi, et tes paupières fermées depuis un moment se sont renversées lentement côté pile.

- Je ne te demande pas si tu pourras me pardonner un jour…au contraire…Je te demande si tu pourras ne JAMAIS me pardonner.

Tu as articulé ce mot d'une voix forte, consciencieusement, appuyant d’un hochement de tête chacune des deux syllabes. Ta tête lourde, pleine à cet instant de ton brouillard blanc. Personne avant n’avait prononcé ce mot plus justement.

Nous étions dans les toilettes publiques de la rue du chat. Deux parpaings posés nous servaient de sièges. Nos pieds pataugeaient sur le carrelage poisseux, plusieurs filets jaunâtres, partant de chaque pissotière en émail nous entourant, se rejoignaient au milieu de la pièce dans une grande flaque que nous évitions le mieux que nous pouvions. Ça sentait mauvais, mais il faisait chaud et nous étions à l’abris.

Je n'avais pas de réponse. J'en balbutiais pourtant une prompte à éluder ta question. Je savais bien que tu n'allais pas me laisser partir aussi facilement, mais je gagnais juste un peu de temps...

- Elle n'a pas de raison d'être cette question...Tu…

D'un bond, dénouant tes muscles d’un seul et même élan inattendu, tu es venu te planter face à moi, à genoux entre mes cuisses, les tiens baignant dans la petit flaque. Tes mains en étau de chaque côté de mon visage, tu as pris mon regard et ne l'as plus lâché.

- Ça aurait pu être bien nous deux ... ça aurait pu… tu le sais hein ? ...plus que bien… mais ça ne le sera pas… et si un jour tu me pardonnes, ce sera comme si tu ne savais plus. Comme si t’abandonnais … alors je veux pas... je veux pas qu’on s’aime moins...même si ça rendrait tout plus facile... et..

Et tu t’es arrêté net. Tes mains sont retombées sur tes cuisses, ton regard s'est détourné. Comme toujours lorsque tu te décidais à dire ton corps se dérobait malgré toi, tout juste bon à te faire souffrir.

- Et....?

Tu n'as plus rien dit, as tourné un peu la tête, menton baissé, cherchant un point de fuite. C'était pathétique. Pathétique à en pleurer, mais pourtant ton profil à cet instant était tout simplement parfait. Ses traits, ses ombres... tout en lui m'invitait à sourire, à aimer et en jouir. Et je m'en voulais de te trouver beau dans cet endroit qui sentait si mauvais. Alors je t’ai giflé pour que le beau ne s'en aille pas, pour lui dire que c'était nous, notre faute et que, non, on ne se pardonnerait pas. Jamais.

Tu es resté un instant sans bouger, accusant le coup sans sciller. Ma main avait laissé une trace rouge vive sur ta joue. Ta main inerte sur ta cuisse, je crois que j'attendais ta gifle comme on attend un baiser. Tu t'es retourné vers moi, regard brûlant et mâchoire crispée et tu as dit "merci"...Puis tu m’as prise dans tes bras. Un peu vivement. Trop sans doute puisque j’ai perdu l’équilibre et que nous nous sommes retrouvés par terre, à rire aux éclats, les cheveux maculés de pisse.

Aucun commentaire: