(Voix)

J'ai toujours été sensible aux voix, à ce membre de plus qui nous pousse lorsque l'Autre se fait soudain trop éloigné. Et bien plus que les écouter, j'aime les regarder. Regarder la façon dont elles découpent le silence, la manière qu'elles ont de souligner le corps, trait fin ou trait appuyé, il y a tant d'eaux où plonger en dessous de cette passerelle jetée...

La tienne était douce je me souviens, beaucoup des intonations de l'enfance y étaient restées piquées. Il y avait de ce qu'aurait dû être ton corps imprimé dans ses couleurs et ses déliés. Tu parlais peu, pour ainsi dire pas, et lorsque tu le faisais tes phrases glissaient, rapides, d'entre tes lèvres, à peine audibles parfois. C'était comme un coup d'incisive, un air de revanche, mais une morsure trop légère pour entamer le cuir des silences. Ta dent mordait dans les premiers mots mais desserrait souvent l'étreinte avant les dernières syllabes qui se perdaient alors dans un geste vague de ta main, ou un hochement de tête... comme parfois un regard se termine au clignement d'une paupière, par pudeur ou délicatesse. Cette même pudeur qui, à chaque fois que tu prenais la parole ou presque, te faisais détourner la tête, regarder au loin ou le bout de tes chaussures. Et, la dernière lettre prononcée, tu faisais mine d'avoir déjà oublié, tu t'en détachais, lèvres closes, quand ton corps lui, restait tout entier accroché à son écho, et attendait.

Elle contrastait étrangement en fait, cette voix, avec ton corps fait d'angles et de ruptures, d'os saillants et de déchirures. Aucun pourtant ne mentait vraiment et il était difficile de savoir qui des deux écouter en premier. Il arrivait néanmoins, parfois, que les deux entités finissent par s'accorder. C'était lorsque ta voix soudainement se mettait à monter trop haut, s'érailler. Quand elle se faisait ordurière et vindicative, quand l'ombre des angles avait gagné. Ta façon même de prononcer les mots changeait. Ou bien, c'était lorsque ton corps à son tour capitulait, lorsque rompu à la chimie il rendait les armes et doucement se roulait en boule comme une voyelle en bout de syllabe...

5 commentaires:

Lioubov Dormeur a dit…

Peut-être la lettre que je préfère tant je lui trouve un soufle particulier, au point que j'en tremble. Cécile est devenue une sorcière bien-aimée. Elle a beaucoup de chance d'écrire de mieux en mieux...

Cela me fait penser que la voix douce et mélodieuse de Gilles est aussi de toute beauté. A décrire?

sleemane a dit…

Ce que j'aime dans tes textes c'est la facilité avec laquelle tu fouilles à l'intérieur de l'âme!

Anonyme a dit…

Comme je suis heureux que cet homme commence à prendre la parole à travers toi ! Amitiés. Gilles.

Anonyme a dit…

Merci Lioubov (je rougis).

Lioubov D. a dit…

Vous pouvez rougir, Gilles, vous pouvez...