Lettre XXVI

Je ne crois pas tout ce que l'on raconte sur ces morts dont il faut, dit on, un jour ou l'autre lâcher la main. Comme il serait vain de croire que la vie à elle seule tisse tous les liens, il ne faut pas trop croire en la mort, elle n'interrompt rien. Il y a des conversations souterraines qui n'en finissent jamais. Il n'ait pas toujours besoin de remuer les lèvres pour pouvoir s'articuler.
Les vivants ont trop souvent tendance à se reposer sur les franges souples de la réalité. C'est par paresse peut être qu'ils se plaisent à occulter les interstices pourtant béantes où ce qui a été, sera et est, ne forment qu'une seule et même tangente où se prolonger.
Nous avons encore à nous écouter et à nous dire, je le sais. L'absence n'est pas un silence, juste une note à contre temps, qu'il faut lire sur une bouche fermée.

A l'heure des premiers amours, beaucoup se construisent de petites chapelles à taille humaine où apprendre à croire. Nous, nous nous sommes édifiés une cathédrale où il a fallut se battre des ailes pour professer nos miracles. Aujourd'hui dépliées, elles traînent au sol et nous menacent de ne jamais trouver la prochaine marche assez haute, assez infranchissable. Nous nous sommes condamnés aux victoires sur l'impossible et tout le reste semble du coup insipides...

Alors même si en une seule saison nos terres ont donné leurs plus beaux fruits, éventré leurs ventres de la plus monstrueuse des moissons. Même s'ils sont difficiles à dessiner les prochains sillons et qu'on se dit surtout à quoi bon puisque nos greniers débordent encore et qu'on aura jamais assez de dents pour mordre dedans....
Même si tout cela existe, je continue pourtant de creuser cette terre, de vivre de miracle... et sans lâcher la tienne garder mes demains libres.
La mort n'a pas fait de moi ta veuve. Je ne le serai jamais. Je suis notre descendance

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Cécile,

Etrange, cette référence à la moisson, au ventre de la terre (sourire - un seul millésime ?). Etrange, de ta part, cette évocation de la descendance.

Autrement, 100% en accord avec toi : le temps n'est pas linéaire.

Gilles

Cécile Fargue Schouler a dit…

Oui, me voilà sans doute victime des saisons..sourire

Et la "descendance" oui...étrange t'aime dans ma bouche

Anonyme a dit…

Avec le temps...

Epoustouflante évocation, que vous nous confiez là, Cécile. Vous changez de style, mais ça vous va très bien

Pandora

Cécile Fargue Schouler a dit…

Merci Pandora

sleemane a dit…

J'apprécie ce courage face à la mort.En effet on n'est jamais ni veuve ni veuf après la mort d'un être cher mais plutôt une descendance,un être nouveau.