Lettre XIII

Quinze heures, un mois d'août, rempart de l'Est. L'après midi est brûlante comme celle d'aujourd'hui. Autour de nous les immeubles dorment sur leurs deux persiennes closes, les pavés sont transparents de chaleur, un chat se dore sur le banc d'à côté. La ville comme anesthésiée sous son propre poids, arrêtée. Pas même un souffle d'air pour agiter les feuilles des arbres...

Nos cheveux mouillés il y a une demie heure à peine dans l'eau de la fontaine sont déjà secs, l'eau des bouteilles déjà chaudes. Ça sent le bitume fondant...

Allongés sur le muret, mes muscles s'engourdissent de paresse, les tiens se diluent dans les échos de ton dernier fix... Tu luttes pour ne pas sombrer, pour ponctuer le silence de quelques mots, frôler ton absence... Ton corps calme comme la ville, vaincu. Déserteur. M'en voudras tu si je te retiens? Si j'essaie... Je pointe du doigt le fleuve en contrebas.

- Et si on allait au bord de la mer nous aussi?!

Je saute en bas du mur, le chat lève la tête un instant, mollement intrigué, s'étire lentement et à quelques mètres va s'étendre à nouveau à l'ombre... C'est vrai que tu n'as jamais vu la mer. Et cette nuit, pour nous endormir, je te l'ai racontée. Mon enfance tout près d'Arcachon, les couleurs, les parfums... Il ne faut pas attendre une vie prochaine.

Tu grommelles un peu, peine à ouvrir les yeux... Tu sais que je ne te laisserai jamais vraiment lâcher les rennes, même là sous ce soleil, même si c'est presque doux, presque simple. Alors tu grommelles oui, mais tu te lèves et me suis.

Nos dunes sont des jardins, des rues à traverser, des grillages à escalader. L'ombre des arbres n'a pas encore l'odeur des pins mais un peu d'air s'y est faufilé et désserre l'étau de nos poumons. On suit sur un petit kilomètre les quais avant de trouver un coin de berge en pente douce.
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On se laisse glisser, sans même enlever nos fringues, de l'eau jusqu'au menton.
Légers après tout ce plomb.
On est trop fatigués pour nager, on se contente de flotter gentiment, de sentir le fond vaseux remonter lentement autour de nous, chatouiller la peau nu de nos bras, comme une caresse. On plonge la tête sous l'eau.
C'est presque doux, presque simple de vivre aussi...

Pour sécher, il suffit de nous allonger dans l'herbe, face au soleil. Ta bouche sur ma joue humide, sur mon cou, ton ventre collé à ma hanche... nos corps ont échappé à la chape. Tu oublies même un instant que tu ne sais plus bander. Jusqu'à ce que ma main vienne se poser au creux laissé entre tes cuisses, que tu retiennes et serres fort mon poignet, que dans mes cheveux, dents serrées, me demandes pardon... Je souris alors, sans doute suis je en train de penser aux amants qui me viendront plus tard, bien plus tard, fiers de leur protubérance.

Au creux de ton bras, à l'endroit où ta peau si sensible s'électrice aux moindres frôlements, je pose ma langue, au rides amères de la seringue glisse mes lèvres et lentement te baise jusqu'à surprendre ton plaisir et nous laisser vainqueurs et émus au soleil.
photo : Rempart de l'Est - Angoulême

1 commentaire:

Anonyme a dit…

des petites cuillères qui chauffent,
des cotons aspirés, des seringues qui tournent, des ceinturons en guise de garrot..les machoires de vos amis, petits amis ou soeur qui se décrochent, leurs pupilles dilatées, leurs crises de démangeaisons,leurs nausées.... et votre impuissance...être là et les aimer.