Lettre XII

J'essaye vainement de faire sauter un peu du vernis, d'aller creuser un peu plus profond, de remonter à ta moelle...mais n'y arrive pas. Tout est là, se bouscule même mais je n'ose pas.
...Faire sauter du vernis... comme si t'évoquer assis en train de faire la manche était encore un vernis! L'image acceptable. La moins vilaine. La plus montrable. Drôle d'échelle de valeurs où les barreaux sont montés à l'intérieur. Dans le pire être son meilleur.

Te souviens tu de ton sourire cette nuit où ils on fait éclater ta lèvre? Nos beautés sont si souvent le fruit d'un hasard, d'un accident, d'une circonstance...d'un extérieur qui soudain nous transperce, nous habite, nous oblige à son vertige. Cette nuit là tu as pris le chemin à l'envers. C'est toi qui as transpercé la vie, dans son noir imprimé ta lumière...

Ils nous suivent déjà depuis quelques rues je crois. A distance raisonnable cela dit, ce n'est sans doute pas pour nous. De toute façon, le pire est derrière. Forcément. Puisque la nuit s'achève. Rue du chat, dans les toilettes, tu vas anesthésier un peu ton corps, refermer sa mémoire...alors ces types derrière nous...
Ils nous rattrapent pourtant.

Ils sont trois. Bien plus vieux que nous, qui puent l'alcool et la vulgarité. L'un d'eux me colle au mur et m'empêche de bouger. Les deux autres te tournent autour, te bousculent. Les insultes faciles ne sont pas longues à venir et tes coups de poings et pieds longs a être maîtrisés.
Ce qu'ils disent, je ne m'en souviens que très mal. Treillis et cranes rasés, les "casseurs de tapins" n'ont pas un verbe qui force la mémoire. Juste le dégoût.
Ce que tu réponds, je ne l'entends plus bien non plus. Je revois juste la seconde où ça bascule...

L'un d'eux te prend par les cheveux et tire ta tête en arrière, l'autre enfonce ses doigts dans ta gorge et t'ordonne de sucer. Je revois la nausée qui emplit ta bouche, le haut le coeur qui un instant te fait t'effondrer sur toi, le regard que tu plantes dans le mien...et le cri du mec aux grands doigts quand tu le mords d'un coup sec. Son poing vient éclater ta pommette, ton sourire a un goût de défaite. Un grand coup de pied dans la porte des toilettes et ils te jettent à l'intérieur avant de refermer la porte sur vous...

Serrée de près, la joue contre le mur, je ne peux rien faire, je peux juste écouter. A l'intérieur, entendre des bruits de lutte, des coups...un corps qui tombe sur le carrelage. Puis le silence. Quelques instants.

Ils ressortent tous les deux, sur leurs visages, ton sourire en transfert. Grands doigts s'approche de moi, caresse mes cheveux... Je ne veux pas avoir peur. Si ça doit arriver que ça arrive vite. Je veux juste te revoir, tant pis s'il faut en passer par là.
Mais non, je n'y passerai pas cette nuit.

Je n'y passerai pas parce que je viens de me faire pipi dessus et que ça les fait mourir de rire. Ils s'écartent de moi et remontent la rue sans se presser...mon dieu qu'est ce qu'ils t'ont fait...

Le corps sur le carrelage c'est le tien. Visage en ecchymoses, à moitié déshabillé, trempé, les yeux gainés de sang, ton sourire revient timide, désolé... Me croira t'on jamais si j'ose dire qu'à cet instant tu m'es apparu si...grand!

Quand je t'aide à te relever, l'odeur me saute au nez. Tes cheveux en sont trempés. Tu me le confirmes dans un rire nerveux, ils t'ont tous deux pissé dessus...Mais ce n'est pas grave répètes tu, tu t'inquiètes pour moi. Et lorsque tu vois la tache humide entre mes cuisses, maladroit et nerveux tu retires mon jean sans rien dire. Te traînes jusqu'au lavabo, mouilles le reste de ton tee shirt et, à quatre pattes, viens laver mes jambes, mes cuisses.

Tu es là, devant moi , ruisselant de sang et de pisse, d'humiliation et de nuit et sur ma peau pourtant ta main est si douce et légère...

Alors Grand oui. Même ici. Même sans public. Comme une lumière inversée.

3 commentaires:

sleemane a dit…

L'atrocité extrême de la scène de violence s'efface comme par enchantement à la naissance de l'amour. J'aime bien ce texte que je trouve très émouvant.

jobeis63 a dit…

Je vais me redire mais tant pis: les larmes me viennent quand je vous lis...
Vous êtes belle et grande... ne vous arrêtez pas...
Anne

Anonyme a dit…

Cette scène rappelle étrangement celle du lavement des pieds. L'imitation de Jesus-Christ : un saint, à sa manière.

Amitiés