Ce ne sont pas toujours des porcs qui arrêtent leurs voitures le long des trottoirs, tout au bord. Certains ont même un peu honte d'y faire monter un gosse, alors ils se font plus gentils que les autres, sourient un peu plus fort. Dans leurs poches, il y a toujours un tube de lubrifiant et assez de familiarité polie dans leurs voix pour se croire presque entre "bons amis". C'est sans doute eux les pires, parce qu'humains on ne peut même pas les haïr. Parmi eux, il y a celui du mercredi. Une nuit, parce qu'il pleuvait des cordes, tu as crocheté la serrure d'une de ses petites cabanes qui fleurissent dans les jardins ouvriers. Tu t'y es endormi, un peu trop, et le propriétaire t'y a découvert au matin. Il t'a sermonné un long moment puis a décidé ne pas prévenir la police. Il t'a au contraire dit de revenir la semaine d'après, le mercredi, un peu après minuit. Il t'a dit que tu trouverais bien sans doute de quoi le "dédommager"...
Ça fait plusieurs mois déjà que le rendez vous hebdomadaire existe lorsque tu m'y amènes pour la première fois. Toujours de nuit, être le plus discret possible est sa devise. "Il ne comprendraient pas nos petits secrets" dit il, en se soulignant d'un froncement comique du nez. C'est comique en effet comme petit secret, et il s'en est tant et tant persuadé que son rire même n'a rien de forcé. Sa voiture est déjà là lorsque nous arrivons. Tu me demandes de t'attendre là, sur le banc collé à la cabane, tu n'en as pas pour longtemps, une demie heure à tout casser. Tu ne m'embrasses pas , ne me touches pas, tu essayes de cligner de l'oeil, l'air détaché, mais tout le monde n'arrive pas à composer de soi, en tous cas, pour toi, ce ne sera pas encore cette fois. Tu entres, refermes la porte et je fais glisser les écouteurs sur mes oreilles. Je mettrais bien le feu à ces bouts de planches mais ça ne serait qu'un mercredi de rayé. On ne se révolutionne pas dans les impasses, on manque de place...
C'est lui qui rouvre la porte. Une demie heure après environ, comme annoncé. Tu l'as prévenu la semaine précédente que je serai là et c'est grand sourire qu'il me serre la main et s' excuse de cette attente qui le fait passer pour un vilain impoli. Il s'efface pour me laisser entrer. Le mobilier est sommaire, quelques pelles et râteaux accrochés sagement au mur, une table de camping dépliée et au fond, mal éclairée par le chandelier allumé, une autre petite pièce. J'y distingue avec peine une sorte de lit en fer, de ceux que l'on plie et déplie. Je t'y entends aussi, mais sans doute es tu juste derrière la porte entrouverte car je ne peux te voir. Il ne te paye pas en liquide je le sais, mais en héro, trois petits sachets dont un que tu prends aussitôt l'affaire terminée. Le premier est donc pour te régler, le deuxième parce qu'il t'aime bien, le troisième pour que tu lui sois fidèle au moins jusqu'au lendemain. Il pique sa gerbe de fleurs bleues...
C'est lui qui rouvre la porte. Une demie heure après environ, comme annoncé. Tu l'as prévenu la semaine précédente que je serai là et c'est grand sourire qu'il me serre la main et s' excuse de cette attente qui le fait passer pour un vilain impoli. Il s'efface pour me laisser entrer. Le mobilier est sommaire, quelques pelles et râteaux accrochés sagement au mur, une table de camping dépliée et au fond, mal éclairée par le chandelier allumé, une autre petite pièce. J'y distingue avec peine une sorte de lit en fer, de ceux que l'on plie et déplie. Je t'y entends aussi, mais sans doute es tu juste derrière la porte entrouverte car je ne peux te voir. Il ne te paye pas en liquide je le sais, mais en héro, trois petits sachets dont un que tu prends aussitôt l'affaire terminée. Le premier est donc pour te régler, le deuxième parce qu'il t'aime bien, le troisième pour que tu lui sois fidèle au moins jusqu'au lendemain. Il pique sa gerbe de fleurs bleues...
Il y a quelques secondes pénibles où lui et moi debout n'avons rien à nous dire, on écoute juste rouler la pierre de ton briquet. Pour rompre le silence, il me propose de m'asseoir et se dit ravi de nous avoir tous deux à dîner. Il sort du sac posé sur la table tout un attirail de pique nique : bouteilles, verres et assiettes, gamelle au ventre rebondi... Il est fier de lui, « salade de pâtes » annonce t'il, sa recette la plus aboutie. Chaque semaine il partage ainsi avec toi son dîner et s'applique. Il met la table, remplit copieusement nos assiettes et nos verres de chianti. Il te dit de nous rejoindre mais tu ne réponds pas. Il ouvre la porte en grand, face au mur tu es en train de renfiler ton jean. "Allons voyons pas de chichi entre nous, faisons comme d'habitude, ton amie ne va pas se choquer pour si peu!" Il rit, te fait signe de reposer ce jean, te prend par l'épaule et t'invite à t'asseoir à côté de moi. En une phrase, il vient de planter profond sa banderille. Ma main est posée sur le banc, en t'asseyant ta fesse nue la frôle et je la retire d'un geste un peu trop vif. Je la repose sur ta cuisse, tu tournes la tête vers moi, regard coté pile, j'enfonce mes doigts pour te faire un peu revenir. Debout face à nous, son verre à la main, le pantalon encore visiblement gonflé, il te regarde, te détaille, l'oeil satisfait. "Il est beau n'est ce pas?...tu as de la chance. Profites en bien". Coudes sur la table, tu cales ton visage entre tes mains pour ne pas trop piquer du nez, je crois que tu n'entends rien. Moi je ne sais plus à quelle réalité me raccrocher. C'est un gentil grand père un peu, beaucoup, amoureux de toi ? un vieux pervers qui prend son pied à te voir humilié et à poil?...sans doute un peu des deux je crois.
"Mais allez! Mangeons, mangeons...on meurt de faim! ".
Le repas se passe sans heurt. Surréaliste. Il parle, beaucoup. De son fils partit à Paris et qu'il voit trop peu à son goût. De sa petite fille qui a 14 ans comme nous et est le soleil de sa vie. Elle est au conservatoire où elle fait merveille paraît il, elle est pianiste. Elle rêve de devenir grande concertiste. Il parle de l'importance des rêves que l'on fait à cet âge, personnellement il ne cesse de l'encourager : "il faut savoir forcer sa destinée"... Tout en parlant il veille à notre bien être, remplit nos verres vides et une fois encore nos assiettes. J'ai dans la bouche une bouillie infâme que je ne parviens pas à cracher. Il tend son bras pour attraper son paquet de cigarettes et en profite pour te tapoter tendrement la joue, "ah! je t'aime bien toi aussi...mon petit pêché"...Gêné tu ne réponds rien, esquisse un sourire mécanique. Je m'en veux de n'avoir à cet instant aucune guerre à faire éclater. Je sens ton regard guettant la moindre expression de mon visage, la moindre moue de dégout ou de pitié, même fugace. Il n'y a parfois personne d'autre à détester que soi et tu es en train de le faire à côté de moi....Tu finis ton assiette tête baissée, vides ton verre d'un trait et te lèves pour aller t'habiller. L'espace d'un instant tu hésites à fermer la porte sur toi, mais te résignes, cette fois tu n'as pas à guetter ma honte, la tienne suffira. Lui a cessé de parler, il se retourne un peu pour te regarder, il a glissé sa main droite sous la table. C'est vrai que tu es sublime dans cette demi pénombre là, éclairé par la flamme des bougies. Je crois qu'à travers le tissu il se branle une dernière fois.
Il nous laisse partir les premiers, il va faire un brin de ménage de son côté avant de rentrer. Il nous aurait bien ramenés en ville mais "on ne sait jamais, il faut rester discret". Tu sors sans lui dire un mot, il semblerait que ce soit ton habitude, je veux lui tendre la main pour prendre congé mais il se penche sur moi et fait claquer deux bises sur mes joues. Il me fait promettre d'être prudent pour rentrer, cette route est dangereuse la nuit, "les piétons si mal éclairés". Si je veux revenir moi aussi mercredi, ce sera bien volontiers.
Tu es déjà sur le petit sentier qui remonte quand je te rejoins. Le bout incandescent de ta cigarette est le seul point de repère dans l'obscurité.
- J'y reviendrai pas.
- Je ne te demande rien
- Je sais... je te réponds quand même...
Le mercredi qui suit, il y aura rôti froid au dîner et, rien que pour moi, au dessert, un fraisier.
- Je ne te demande rien
- Je sais... je te réponds quand même...
Le mercredi qui suit, il y aura rôti froid au dîner et, rien que pour moi, au dessert, un fraisier.
2 commentaires:
Chronique de l'horreur ordinaire. Magnifiquement "contée". Ecriture sobre et effrayante. De ci de là quelque éclairs de grâce. De la dentelle noire où filtre la lumière.
Il y a de la douceur dans vos lettres, Cécile, particulièrement ici. Celle que la pulpe de notre pouce ressent lorsqu'elle caresse une lame finement affûtée ; aucun morfil pour distraire son tranchant, la netteté et la profondeur de l'estafilade qui, avant de cicatriser, pissera le sang figé vitement en d'affreux "coagulats". Terriblement humain, cette lettre, même dans sa chute prévisible, trace des scarifications aux esthétiques contours, témoins d'où la vie nous mord.
La douceur peut être d'une vertigineuse et banale cruauté.
Christian.
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