Lettre XIX

...Cette nuit là, il y a des étoiles dans le ciel, sur le mur d'en face, qui passe, échappé d'un toit, un chat. Et là, à quelques mètres de moi, sur la voiture, il y a tes deux mains posées à plat... Je les regarde qui glissent un peu, tes phalanges se contractent... on dirait deux petites serres de rapace. La droite se soulève un instant, paume grande ouverte, et retombe, mate et claire sur le capot. Le chat détalle, les étoiles restent...
Dans cette nuit d'amour nous sommes un de trop, mais c'est cet autre pourtant, derrière, qui s'octroie le dernier mot. Il m'a laissée te suivre, je n'ai pas eu envie de fuir. Et il est là, à présent, une moitié de queue à la main qui force tes reins. Tu essaies de te relever, poings fermés, mais sur ta nuque sa main pèse. Les étoiles, elles, s'indifférent, pour cinquante balles, il te baise...

Ces images, je le sais, sont laides et jamais personne n'osera croire qu'on peut s'y aimer. S'aimer et les trouver belles.
C'est un peu comme ces nuits où, entre paupière et rétine, l'insomnie perle. De cette langue de terre suspendue au sommeil, on peut entendre le silence gonfler et se taire. Enfler de la rumeur de ces vies dont on ne saura jamais rien : la voiture qui passe, le chien qui aboie au loin... De tous ces bruits anonymes qui l'espace d'un instant pourtant nous lient comme des étoiles au fond de l'abime. On se pensait seul, on se retrouve innombrable. C'était juste notre oeil qui ne savait pas voir, s'attardait à la première ombre pour excuser tout son retard. Il n'est rien que le regard humain ne puisse soutenir, rien que sa lumière n'ait à envier aux prières. La laideur est de notre seule infirmité, le dommage collatéral de nos yeux baissés.

3 commentaires:

Lioubov Dormeur a dit…

C'est troublant, en lisant, j'ai perçu comme qui dirait, une sorte de rythme nouveau. Saccadé, syncopé. Mais peut-être que là je m'avance ? J'aime "votre" litanie qui ressemble à un chant où tout est centré sur l'autre.

Christine a dit…

Il y a chaque fois, chez vous, des phrases qui me percutent et me touchent : "la laideur est de notre seule infirmité, le dommage collatéral de nos yeux baissés"

sleemane a dit…

Je reviens toujours te lire avec un immense plaisir. J'aime beaucoup tes mots percutants, on dirait des balles réelles, une rafale !
Merci!