Lettre II

J'ai toujours eu le verbe facile. Que j'ai su ou non en user avec talent est, au final, un point de détail. La chose est que les mots m'ont rarement opposé résistance. Ils se sont toujours facilement pliés à mon humeur du moment. Ils ont été cris lorsque je ne parvenais plus à articuler, frôlements quand je me sentais lointaine, griffures lorsque je me voulais chienne, etc.

Et puis il y a toi.

Combien de fois ai je essayé, vainement, d'esquisser tes contours de quelques mots, te souligner de quelques phrases, t'habiller de paragraphes...? Du plus cru au plus métaphorique. Avec ou sans gant. Langue chatié ou ordurière.
Mille fois j'ai tenté de t'extirper. Pas une fois je n'y suis parvenue.

Et pourtant...

Pourtant si je n'ai bien qu'une seule chose qui me tienne à cœur et à raison, c'est bien celle çi. Parler de toi.

Pourquoi?...sourire...Voilà des années que je tourne autour de cette question.

La colère a été longtemps une raison. Une mauvaise. Aujourd'hui...
Aujourd'hui, j'ai envie d'aimer les autres et leur faire ce cadeau. Cadeau de toi. Peu importe qu'ils n'aient pas su te voir par eux seuls, peu importe si aucun n'a su apaiser tes pleurs...Je n'ai pas plus réussi qu'eux... Ils méritent de te savoir, même avec tout ce retard.

Je n'ai jamais su parler de toi, c'est vrai, mais j'ai su glisser ton empreinte de çi de là...

Comme cette chanson. Je l'ai faite écouter. Souvent. Sans rien dire mais sachant.



Il est tôt ce matin là et je t'attends. Les écouteurs dans les oreilles, c'est cette musique. Quand tu me rejoins, juste derrière un mur du rempart, dos à la pierre, dans mes bras, de la nuit qui vient de passer nous ne parlons pas. Tu as quinze ans et tu sens l'alcool et le sperme. Je n'ai pas les épaules et pourtant tu t'y appuies. Tu respires un peu vite, trop, ton corps tremble un peu, trop lui aussi. Tu prends un des écouteurs, glisse ta tête sur mes genoux... Tu es « un peu fatigué » me dis tu. Doucement, à voix basse, comme si tu t'en excusais... Je monte le son de la musique. Je ne sais pas quoi répondre.

Et je ne sais toujours pas aujourd'hui...

Aucun commentaire: