Lettre I

Je ne sais pas bien par où commencer...Peut être par mes excuses...tout ce retard...
Ce rendez vous combien d'années déjà que tu me l'as donné? Et tout ce temps tu m'as attendu...

J'ai été longue à tenir ma promesse, j'avais sans doute peur de la perdre. Il fallait que je la serre, qu'à l'étouffer je la tienne...

Quinze ans.!.. Quinze ans tu te rends compte?

C'était l'âge que nous avions... Et demain j'en aurais trente. Trente ans, tes quinze ans plus les miens. J'ai la place à présent de ta vie et de la mienne.

Laisse moi te regarder un instant... Tu n'as pas changé... J'avais si peur d'avoir effacé ton image tu sais... J'avais oublié que tu n'avais plus à vieillir... J'avais oublié que rien ne m'empêchait de te sourire...

Moi?...Moi, j'ai changé je crois. J'ai été longue à apprivoiser les miroirs qui ne te réfléchissaient plus, à retrouver le goût de voir. Et puis, il a fallut que j'apprenne à marcher, je n'ai longtemps eu que la pointure de ton pas...

J'ai fait un long chemin tu sais, et j'en ai emprunté des détours pour t'éviter.

Mais mes valises sont pleines tu vois. Ce sont les tiennes. Elles ne m'ont pas quittée. Elles m'ont fait trébucher parfois, ont ralenti mon pas. Elles m'ont aidée à prendre des trains quelques fois.

Tu sais pourquoi je suis venue n'est ce pas?... Tu n'avais pas de papier, pas de nom, pas d'histoire... Ils t'ont fermé les yeux et tous t'ont oublié. Il ne faut pas leur en vouloir, mais il te reste juste ma mémoire. Et elle est bien trop étroite.

C'est pour ça que je viens te chercher... Te faire une place aujourd'hui que j'ai trouvé la mienne.

Ça ne changera rien...

Ou ça changera tout.

Mais ce n'est déjà plus ce qui importe...

4 commentaires:

Gilles Monplaisir a dit…

Chère Cécile,

Perros écrivait quelque part que tout récit prenait sa source dans un "trou noir" (ou quelque chose comme ça)... Une absence en tous cas... A bientôt de lire où tout cela vous mène. Amitiés. Gilles.

Cécile Fargue Schouler a dit…

Gilles,

Cela me fait grand plaisir de croiser ici visage "connu"... sourire.

Voir où "tout cela mène", j'en suis ignorante et curieuse aussi. Drôle de curiosité où, pour une fois, le nombril se désaxe...

Christian Domec a dit…

Cécile,

Je découvre L'Être ouverte ; pour être plus précis, j'ai lu les trois premières lettres au creux de la nuit, et, je ne sais pourquoi, m'est revenu ce passage de La Confusion des sentiments de Zweig :

« Nous vivons des myriades de secondes et pourtant, il n'y en a jamais qu'une, une seule, qui met en ébullition tout notre monde intérieur : la seconde où la fleur interne, déjà abreuvée de tous les sucs, réalise comme un éclair sa cristallisation - seconde magique, semblable à celle de la procréation et comme elle, cachée bien au chaud, au plus profond du corps, invisible, intangible, imperceptible -, mystère qui n'est vécu qu'une seule fois. »

Cécile, vos lettres me troublent et m'émeuvent, comme si elles se rapprochaient, tremblantes, à tâtons, sans la révéler, de cette seconde, de votre seconde.

À vous,

Christian.

Cécile Fargue Schouler a dit…

Christian, oui c'est tout à fait cela..je crois que la Vie ne se révéle à nous qu'une seule et unique fois, l'espace d'une seconde...Du reste on l'attend et on se souvient