Lettre XVII (suite)

Ce jour là, nous ne nous sommes pas parlés. Je ne sais même pas si tu m'as regardée et moi, au fond, je n'ai rien fait pour être remarquée. Il faut du temps parfois pour se rencontrer.

Les jours sont passés mais comme une épine fichée sous l'ongle, une image est restée : la main de la "bonne copine" essuyant le revers de la manche sur laquelle tu t'étais un instant appuyé. Ce geste grave qui n'importait pourtant à personne si ce n'est à toi.... et à moi, un peu par hasard. Les doigts sont restés là, à courir dans ma tête, comme un rébus dont on ne trouve pas l'issu. Ils ont foulé le tissu de sa veste et j'ai piétiné sur ton regard : qu'avais tu compris que je n'avais fait que voir?...

Les doigts courent sur la manche car ils sont pressés. Il faut avancer. Toujours. C'est ainsi que marche le monde. D'un but à l'autre se raccrocher... et avancer. On se déroule à plat, dévoué à la ligne droite qui nous fera évoluer puisque c'est, dit on, notre seule destinée. Si la vie est une rivière à traverser, je ne sais qui un jour a décidé du chemin mais nous sommes tous à l'emprunter, le même, d'une rive à l'autre on se fait passer. Plus ou moins bien, plus ou moins mal, avec parfois quelques échouages, quelques noyades, mais dans la masse tout cela n'est que détail...
Et si j'y pense j'ai moi aussi commencé mes premieres brassées. Mes études d'abord, les plaisirs que je découvre et ainsi de suite le chapelet, un demain chassant un aujourd'hui aussi vite que sur le bras de la copine l'index chasse le majeur. Hop! Hop! Hop! La frise doit se dérouler, coûte que coûte, c'est forcé. Tout le monde le sait, tout le monde le fait...

Et puis voilà que cet après midi, un nouveau canal s'est dessiné. A la verticale. La verticale de ton regard planté sur la ligne de sa main. De la surface, nager vers le fond, une autre traversée. Sur la frise tu sembles immobile et pourtant tu ne cesses aussi de progresser. Tu n'accumules pas les demains et les à venir, c'est vrai, mais jusqu'à la moelle tu ronges l'unique et seul aujourd'hui laissé.
Et ce chemin, il m'a frappée. C'est lui qui m'a laissée souffle coupé, à deux pas de vous, alors que vous vous insultiez. Il m'a frappée car je lui trouvais, enfin, un sens, une légitimité. Je crois que je n'avais jamais eu l'envie de nager, du moins je n'en avais jamais éprouvé la nécessite. Mais plonger, ça, si je ne savais pas que c'était possible j'en avais longtemps rêvé. Comme je pouvais alors passer des jours entiers à écouter inlassablement la même musique jusqu'à ne plus savoir l'identifier. Et il me semblait découvrir alors bien plus de sons, d'harmonies, de mélodies en ce seul morceau que dans la multitude des cassettes bien rangées sur mon bureau.

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